Le cul des anges / Benjamin Legrand
Le cul des anges, paru au Seuil en avril 2010 est le dernier roman de Benjamin Legrand.
Il est finaliste du Prix SNCF du polar ainsi que du Prix des lecteurs du Télégramme.
Résumé
Dimitri vient d'atterrir sur la Côte d'Azur, mais ce n'est pas pour se dorer la pilule : il est tueur à gages. Il compte bien se rendre
à Cannes pour remplir son contrat rapidement et repartir fissa, ni vu ni connu. Mais dès son arrivée à la gare de Nice, rien ne se passe comme prévu.
Juste au moment où il sort d'un casier de la consigne un sac contenant l'arme prévue pour sa mission survient un gros chien, accompagné
d'une jeune zonarde. Le molosse se jette sur lui et la fille a juste le temps de se saisir du sac et de s'enfuir. Il lui faut à tout prix le récupérer. Il court derrière la voleuse, qui saute
dans un train en partance. Il n'est pas au bout de ses surprises.
Mon avis
Le cul des anges a ceci d'assez déstabilisant qu'il n'a pas de personnage principal. Ou plutôt, il en a une
multitude. Le roman s'ouvre sur l'arrivée de Dimitri, le tueur à gages russe, qui fait tout de suite la connaissance de la fille au chien, rencontre dont il se serait bien passé. Le lecteur
découvre ensuite Lola, la jeune chanteuse du groupe « Le cul des anges » – nom issu du titre d'une de leurs chansons. Son talent pour la physionomie s'est révélé très tôt et l'a conduit
à en faire son métier, au sein d'un casino. Elle y prend un jour une balle perdue en pleine tête lors d'un règlement de compte, et perd par la même occasion son aptitude à se souvenir des
visages. Avec Fred, Kamel et Jacky elle se lance alors dans la chanson. Au fil des pages, le lecteur fera aussi la connaissance de Lucien et Fernand, deux paisibles retraités, occupant leurs
journées à jouer aux boules pour ne pas penser à leurs femmes respectives, toutes deux décédées. Paisibles, les deux septuagénaires ? Pas si sûr... En parallèle, on suivra le Commandant Edward
Valentine, un officier américain à la tête d'un important réseau pédophile, ainsi qu'Henri-Pierre Barn – accompagné d'Astrid, sa sublime conquête – un homme d'affaires français qui a bien compris
que ce marché était très lucratif.
« Kamel attaqua à la basse, juste une note qui venait vibrer comme un glas. Fred posa la main droite sur un de ses multiples claviers. Une lointaine cascade cristalline se répandit comme une nappe liquide, posée sur la rythmique qui commençait à se dessiner. Jacky sentit le rideau s'ouvrir dans son dos et Lola entra, tête baissée, comme toujours. En passant, elle arracha le micro à son pied, et fit trois pas jusque sur le devant de la scène. Relevant brusquement la tête, cascade de cheveux noirs, elle commença à chanter :
« Tous les samedis matin, quand je prends mon bain... j'ai envie de me noyer, parce que je n'veux pas aller... voir l'oncle Gaspard... »
Fred, Kamel et Jacky se regardèrent, une seconde. Ils pensaient tous trois la même chose. C'était gagné. Elle avait capté le public, par sa présence et sa voie. C'était magique. Restait à espérer que ça durerait. »
Au départ, il n'y a pas vraiment d'intrigue, ou plutôt il y en a plusieurs mais aucune ne semble prendre le dessus. Et puis très
rapidement, tout ce beau monde va commencer à se croiser. Alors qu'on pouvait se demander un instant où l'auteur voulait en venir, c'est à ce moment-là que le talent d'écrivain de
Benjamin Legrand devient palpable. Le lecteur connait les différents protagonistes, qui eux, ne se connaissent ni d'Ève ni d'Adam. Cela crée des situations intéressantes, où le
lecteur aurait presque envie de prévenir untel de ne pas s'approcher d'un autre... Peu à peu, les intérêts des uns et des autres vont se retrouver mêlés et le roman va s'emballer jusqu'à devenir
trépidant. Dès lors, l'action devient omniprésente et les rebondissements se succèdent jusqu'à un final de haute volée.
« Edward Valentine jette un ultime coup d'œil à la première partie de son plan. Tout baigne. Surtout ce connard de sergent. Dans une flaque bien rouge. »
La lecture est rendue très agréable par la plume de l'auteur, qui ne manque pas d'adresser quelques clins d'œil au passage, au cinéma
notamment – Benjamin Legrand est aussi traducteur et... scénariste. Il est à noter que la chanson « Le cul des anges », qui joue un rôle central dans l'histoire, a été
écrite par l'auteur avant le roman pour une amie chanteuse. Traitant de pédophilie, c'est de ce texte que lui est venue l'idée de ce polar.
Original et admirable, Le cul des anges l'est par sa construction, exercice périlleux réussi haut la main par
Benjamin Legrand. Les personnages, excellents, valent à eux seuls le détour par la Baie des Anges. Très cinématographique, ce ne serait pas une mauvaise idée d'adapter ce roman
sur grand écran. Avis aux producteurs...
Le cul des anges de Benjamin Legrand, Seuil (2010), 343 pages.
A signaler : une intéressante interview du Télégramme à l'occasion de leur Prix des lecteurs auquel l'auteur participe.